Zito

Publié le par Gregor

Zito, le mal aimé.

Chapitre 1

Par une après midi tiède et verte, Zito observait les petites ailes du vent. Lorsqu’il plissait les yeux et regardaient par en dessous, il parvenait à voir par intermittence les minuscules ailes, aux reflets bleus et argentées. Il lisait son livre, dont les pages encore vierges se remplissaient au fil de ses lectures, il avait déjà lu beaucoup de livre pour son âge, et il passait le plus clair de son temps à suivre son imagination, de pages en pages, de chapitres en chapitres.
Il s’était réfugié dans ses lectures depuis le jour obscur, où le psy de son école lui avait annoncé qu’il avait contracté la maladie des mal aimés, même si ses parents inversaient allègrement la cause et la conséquence. Il savait ce que cela signifiait depuis longtemps, on en parlait sans cesse aux infos, on annonçait chaque année le nombre de ces malheureux, et on faisait une grande récolte de fonds pour la recherche, où des célébrités se rassemblaient et expliquaient comment ce grand fléau affectait les enfants, les vieillards, les hommes et les femmes, qui se retrouvaient dans l’incapacité d’être aimé toute leur foutue vie. A moins que l’on trouve un remède à ce sacré fléau. Surtout que cela pouvait toucher n’importe qui, n’importe quand, et que malgré les nombreuses superstitions sur les manières de contracter cette maladie, aucun expert n’en savait rien. Donc tout le monde pouvait un jour devenir un mal aimé, et c’est la raison pour laquelle cette grande récolte de fonds rencontrait un tel succès, auprès de nos chers concitoyens. Il me parait tout à fait évident que si ce fut une maladie que l’on pût éviter de contracté, les dons auraient été moindre. Notre société était très largement orienté autour du sentiment d’être aimé, on vendait toutes sortes de produits très cher, afin d’être aimé et de continuer à l’être, les grands investisseurs redoutaient donc que cette maladie ne s’étende, et de voir leur marché se réduire. La population qui depuis longtemps s’était embourgeoisé, ne pensait plus qu’a jouir de la vie, et de tous les bonheurs que celle-ci procure, elle fuyait comme des pestiférés les mal aimés, comme si cette maladie fût contagieuse.
Les psys dans les écoles étaient spécialement formés pour repérer les malades que l’on parquait dans des classes spéciales, non pas que l’on eu craint qu’ils contaminassent les autres élèves, il était scientifiquement prouvé depuis des lustres que cette maladie n’était pas contagieuse, mais les parents d’élèves faisaient des histoires et montaient au créneau, ils croyaient encore aux vieilles superstitions.
Zito refermait son livre il était temps de rentrer, sa mère lui avait préparé son plat préféré comme tous les dimanches, des frites faites maison avec les pommes de terres du jardin, et un steak tendre et saignant, des fraises chantilly pour le dessert.
Un oiseau vint se poser sur son épaule, il était bleue avec le ventre blanc, il lui caressa la joue, les animaux l’aimaient bien, comme s’ils comprenaient sa tristesse.
Les mal aimés vieillissaient plus vite et mouraient jeune, il avait à peine 15 ans et en paraissait 25, du coup il avait terminé ses études et entrait dans la vie active, pour le moment il était en vacance, probablement ses dernières, les adultes n’étaient jamais en vacance.
La télé était allumé chez lui, ses parents regardaient les jeux olympiques, ils terminaient aujourd’hui, la France était dixième, pas terrible… C’était la fin du thonmara (marathon à l’envers), une discipline ou les indiens étaient imbattable, très jeune on retournait le bassin des enfants, afin qu’ils puissent courir à l’envers, or cette pratique était déjà courante au siècle dernier en Inde, à l’époque c’était pour que les enfants deviennent mendiants, à présent c’était devenu une discipline olympique très appréciée.
En lancé de nain on avait perdu cette année, notre nain tricolore était mal retombé… La faute au vent avait on prétexté, comme toujours quand les Français perdaient ce n’était jamais de leur faute, ce n’était pas non plus que l’adversaire était plus fort, non c’était la faute au vent, à l’arbitrage, où à la température de l’eau…. Comme lors du concourt de noyade par exemple (ou l’on prétextait que l’eau étant trop froide, les athlètes avaient perdu du temps pour rentrer dans l’eau).
- A enfin te voila, tu as raté le concourt de résistance aux piranhas, on a fait médaille d’argent, mais notre champion va avoir du mal à concourir aux prochains jeux, cette fois ci ils l’ont grignoté jusqu’aux tibias.
Zito eu un petit rire amer, il détestait ce sport.
- Ça me fait une belle jambe ! on mange bientôt.
- Après le final ! Répondit son père d’un ton bourru, parce qu’il détestait ce genre d’humour, et d’ailleurs toutes les formes d’humour.
- D’accord je vais dans ma chambre alors.
- Tu ne veux pas regarder les jeux ? Ce n’est pas très patriote.
- Oui tu regardes les jeux, déjà que tu es malade, tu ne vas pas en plus nous contracté une autre maladie psychiatrique, j’ai lu dans le journal de ce matin, que soutenir son pays lors des jeux olympiques diminuait le risque de contracter une antipatrioquinine.
Dans son fort intérieur Zito se demandait en regardant la gueule des journalistes de France télévision, si ce n’était pas eux les malades. Le concourt du saut sur rocher se terminait, un slovaque qui venait de remporter la médaille d’or, souriait, le pouce en l’air dans sa civière. Puis de retour sur le plateau de télévision un commentateur qui paraissait ivre se confondait en remerciements :
- Réjouissons nous de cette quinzaines fabuleuse, riche en émotion, et du sacrifice de nos athlètes, qui malgré les aléas, que nous ne commenterons pas, l’heure n’étant pas à la polémique…ont été merveilleux…. Extraordinaires, je remercie mon équipe, qui a réalisé un travail formidable…
Effectivement ils aiment se réjouir, ils passent leurs temps à se réjouir, je suis bien le seul a ne pas profiter de ma vie, en somme je ne suis pas comme tout ces glands, c’est bien ma vaine, et mon ultime malheur….Zito avait tellement pâli en pensant cela, qu’un instant sa mère crut pouvoir voir à travers sa nuque blonde les reflets de la lampe arc en ciel dernier cris, qui était disposée dans le coin du salon, mais elle se reprit vite, « tu perds la tête ma pauvre vieille », se dit elle en tiquant.
Elle n’y prit pas garde mais si elle avait jeté un œil sur son fils durant la cérémonie de clôture des jeux, elle aurait remarqué qu’il avait pratiquement disparu.
Zito pensait a son passé d’écolier, dans sa classe spéciale de mal aimés, où malgré lui il n’avait jamais réussi à ce faire à l’idée que toute sa vie il la passerai seul, sans être aimé, comme un mort vivant, au milieu de toutes ces affections, souvent lors des pauses entre les cours, il observait ses camarades bien aimés, ils semblaient si heureux, si content d’eux-mêmes, si fiers de leur réussite. Zito les enviait en silence, bien qu’on le lui déconseilla vivement, il ne pouvait s’en empêcher, ses écouteurs dans les oreilles, il faisait défiler sur son MP3 tous ces chanteurs, qui ne parlaient que d’amour, lui préférait les musiques tristes, et leurs bonheurs inaccessibles, toutes ces mélodies qui tendaient vers l’obscurité des désirs déchus, paradis perdus de l’homme. Certains poètes appelait les gens comme Zito des « anges déchus », on ne comptait plus le nombres d’artistes qui s’étaient inspiré des mal aimés pour composer leurs œuvres. A présent, Zito détestait toute les chansons qu’il écoutait alors, elles lui rappelaient cette étrange solitude, où il ne pouvait se résoudre à vivre parmi les mal aimés, et où il ne pouvait pas non plus vivre parmi les élèves en bonne santé, il se retrouvait donc seul, en spectateur anonyme.
Ils passèrent à table, ses parents n’étaient pas très causant, ils n’osaient plus trop parler, de peur qu’ils en arrivent à parler du malheur de leur fils. Du coup à table c’était plutôt « passe-moi le sel » ou « fait moi passer l’eau », on entendait assez bien le bruit des aliments, mâchouillés aux sonorités de chacune des trois mâchoires, le mélange était pas très harmonieux, mais on s’y était habitué, et cela valait mieux que de parler des soucis.
Zito rêvassait avant de s’endormir, il pensait à cette fille qu’il aimait bien regarder dans les couloirs de son ancienne école, une fois leurs regards s’étaient croisés, elle savait qui il était, et pourtant comme elle passait prés de lui, elle lui avait sourit. Encouragé par ce sourire, une autre fois il avait engagé la conversation, elle paraissait tout à fait heureuse de partir à Paris l’année suivante, dans une grande école. Zito n’avait rien trouvé d’autre à faire que de la féliciter, en essayant de jouir de son bonheur par procuration, un instant il avait crut pouvoir palper le bonheur des gens normaux, puis d’autres élèves étaient venu interrompre leur conversation, ils lui étaient passé à travers, comme ils ne le connaissaient pas, ils ne pouvaient pas croire en son existence, ils sentaient tout juste un petit frisson lorsqu’ils traversaient son spectre. Zito lui volait aux grès des courants d’air, ses molécules étaient trop inconsistantes, il dériva quelques minutes immobile avant de se ressaisir. Son ami Colin lui tapa sur l’épaule, et lui fit un clin d’œil complice, il avait observé toute la scène, et était fier de son ami, ce n’est pas tout les jours qu’un mal aimé tentait d’accoster sur l’autre rive.
- Je n’arrive pas à croire qu’ils ne m’ai pas vue
- Bah tu sais c’est souvent comme ça, ils nous rejettent pas consciemment, ils nous ignorent, parce qu’on leur à pas appris à nous voir.
Colin marqua une pause, ses cheveux blonds étaient si fins qu’ils semblaient flotter dans l’air.
« C’est souvent comme ça, on s’habitue à voir certaines choses, si bien qu’au bout d’un moment on ne prend plus la peine de les regarder vraiment. »
- N’empêche qu’elle, elle m’a vue.
- N’y pense pas trop, regarde la, elle t’a déjà oublié, les gars comme nous, on ne peut pas plaire a ces gens.
Avec Colin ils décidèrent d’aller se promener en forêt, les cours reprenaient à 15 h 30, ils avaient donc largement le temps d’aller au bord du lac.
- Et tu te rappelles la première fois où on est monté en haut du rocher ?
- Tu parles que je m’en rappelle, Pierre-en-sucre était tombé au milieu du lac.
- Il s’était fait virer trois jours, parce qu’il était arrivé tout trempé, et tout grelotant en cours.
- A l’époque on n’avait pas le droit d’aller au lac.
- Hé Zito !
- Quoi ?
- Tu te rappelles du chemin ?
- Oui, je crois.
- On n’y voit plus rien.
Ils s’éclairaient avec la lumière de leur portable mais la forêt était si épaisse qu’elle les privait de rayons. Ils finirent par arriver au lac, rose ce jour là, des poissons volants argentés péchaient des araignées d’eau, avant de remonter dans leurs nids perchés en haut des pins. C’était le printemps, les énormes nénuphars qui pouvaient servir de radeau avaient pris un ton orange afin d’être assorti avec la couleur du lac. Zito s’en rappelait encore, c’était une période de grève intense pour les aiguilleurs du temps, si bien que les deux compères eurent le bonheur de voir leurs deux montres s’arrêter, ce qui signifiait que le temps était stoppé, la grève avait repris, et ils avaient la chance de pouvoir profiter de plusieurs heures de tranquillité. Ils pensèrent en riant à leurs camarades dans les classes normales qui eux étaient en train de travailler, ce qui redoubla leur bonheur. Ils avaient vraiment de la chance que le temps se soit arrêté pendant leur temps libre, la grève par ailleurs ne pouvant être vraiment efficace que si les gens étaient au travail.
Du coup ils purent aller chercher des baies, se laisser glisser entre les rochers, puis dévaler les cascades.
Ils plongèrent plusieurs heures, devant le soleil immobile, les flamants roses piquaient au raz de l’eau, et remontaient majestueusement vers le ciel turquoise.
A 17 heures quand les élèves sortaient de l’école, ils avaient l’air éreinté, et ne trouvaient d’énergie, que pour vociférer à l’égard des aiguilleurs du temps « ces faignants de fonctionnaires », nul ne savait combien de temps la grève avait duré, mais pour Zito cette après midi avait un petit gout d’éternité.

Amère l’éternité ?

Sans doute sommes nous totalement différent du temps tel qu’il nous est donné, c’est vrai, une vie, si l’on condense les moments qui valaient vraiment la peine d’être vécue, elle dure pas si longtemps que ça, c’est même plutôt court. Mais certains moments par leur intensité semblent justifier tout le temps qu’on a perdu avant, comme s’il oscillait, le temps qui se dilate dans les vastes plaines de l’ennui, parfois se relâche d’un seul coup, à la manière d’un élastique, pour nous projeter vers les étoiles…
- A quoi tu penses chéri ?
- A rien Maman. Et l’élastique qu’il tenait dans ses doigts sauta dans son assiette.
Elle regardait son fils tendrement, comment aurait-elle pu imaginer sa vie, elle ressentait son désespoir, mais elle le trouvait beau, elle ne pouvait le voir autrement, que par les yeux de l’amour.

chapitre II.

Le lendemain dans le journal Zito n’en revenait pas, on allait jouer enfin une ouvre intéressante au théâtre de la ville, une œuvre de Boulgakov, adapté au théâtre, une étrange histoire de Diable, de Marguerites, et de Dieu sait quoi…. Moscou débarquait à Roseville, l’article était mal écrit, incompréhensible, factuel….
Mais Zito ne tenait plus en place, comme la plus part des gens qui n’ont pas l’habitude de faire des projets, il était euphorique, désordonné, inefficace, mais ne pensant plus qu’à se rendre en ville, tant bien que mal il parvenait au prix de milles tâtonnements, et de tentatives ratés à se procurer un billet à l’office des arts et des spectacles; une annexe de l’annexe 32 bis, de la mairie de Trouvillage, qui ne se situait d’ailleurs pas à la mairie, mais à proximité de la piscine municipale, le diable sait pourquoi.
Et il parvint à convaincre son voisin, un paysan qui habitait à deux collines de chez lui, de l’emmener lorsqu’il se rendrait en ville, le lendemain, à l’aurore, dés que son salaud de coq aurait fini d’engueuler le soleil. Il partirait en charrette, tirée par un âne, qui n’acceptait d’avancer, que si on lui lisait des livres, il était particulièrement friand de théâtre classique, et raffolait de tragédie.

Zito ne se sentait plus de joie, jamais il n’avait été au théâtre, et Roseville était une ville qui avait laissé en lui des souvenirs suffisamment imprécis, pour qu’il puisse se les remémorer, avec impressionnisme.

Le lendemain, après une nuit agitée, durant laquelle il se réveilla maintes fois, persuadé de s’être réveillé trop tard, il ouvrit les yeux brusquement, encore embué dans un rêve, où par un concourt de circonstances extraordinaires, et pourtant méchamment réalistes, il n’avait pas pu se rendre à temps a la représentation théâtrale. Encore un peu dans l’agitation tétanisante de ce genre de rêve, il se précipita sur son réveil, qui avait roulé sous son lit, indiquant qu’il allait se mettre à hurler dans 5 minutes. Il l’éteignit, et en pleine forme, prépara un sac pour quelques jours, vérifia plusieurs fois que le billet de théâtre était bien dans sa sacoche, mais pour des raisons de sécurité évidente, il le changea de place, tout en enfournant dans sa bouche un croissant au pomme.
Naturellement il ne le retrouva pas, persuadé de l’avoir laissé dans sa sacoche, puis récupéra le billet nomade dans sa redingote, qu’il avait failli oublier sur le dossier de la chaise de sa chambre.
Enfin, il partit en courant de chez lui.

Il dévala les collines encore bleue aux reflets de la nuit, mais qui commençaient à devenir rose, là ou le soleil baillait ses premiers rayons d'or, il allait de plus en plus vite. N’entendant pas au loin le coq chanter, il avait peur d’arriver trop tard. Quand il parvint en haut de la dernière colline qui surplombait la ferme de son voisin, le soleil était encore très bas, mais quelques taches de lumières lui couvraient les yeux.
Il posa une main en visière afin de pouvoir discerner la ferme. Un grand soulagement l’envahit, le paysan était encore en train de charger sa charrette. « Ce salaud de coq s’est enroué, tu es bien essoufflé, tu croyais que j’allais partir sans toi ! Et bien mille Dieux, ça te passionne tant que ça, toutes ces foutues pitreries. Tu me fais marrer. Je suis bien content de faire le trajet avec toi ! » .

« Tu vas voir une pièce de Boulgakov, c’est étonnant, de mon temps on n’aimait pas les russes, et surtout on n’aimait pas leurs romanciers, trop triste, trop désespérant, on croyait qu’ils allaient nous refiler leur saloperies, enfin tu vois de quoi je cause, toi et moi on a ceci en commun, on est des russes pour eux, mais maintenant ils passent au théâtre… ah ! Ah ! Ça va être un joyeux bordel. »

La charrette avançait ils arrivaient le long du fleuve, où circulait des bateaux à voile et à vapeurs. On racontait que lorsque le ciel s’assombrissait et que le brouillard recouvrait la région des bateaux pirates descendaient le long du court d’eau et pillaient les malheureux touristes.
Pour l’instant ces derniers voguaient insouciant, l’un d’entre eux paraissait ivre et titubait, balloté par les vagues et les remous du courant, à son bord un groupe, semblait il d’étudiants, jouaient aux cartes, accompagnés d’un guitariste, des bouteilles gisaient sur le pont du navire, roulant au gré des secousses. A l’arrière un étudiant jetait sa cannette de bière depuis son hamac en rotant.

Zito se demandait s’ils se dirigeaient également vers la ville pour assister à la représentation.

Ils arrivèrent tard dans l’après midi, la cité était recouverte de neige, et les lumières se reflétaient sur les cristaux épars dans l’atmosphère, des reflets de spectres multicolores, et des filets dorés retombaient en voute, autour des toits mauves de la cité.
Ils s’arrêtèrent dans la première auberge, tant il était difficile de déplacer la charrette qui s’enfonçait dans la neige.
« On ne m‘avait pas dit que c’était déjà l’hiver en ville ! C’est incroyable ce que les saisons changent vite, le temps est complètement déréglé ! Reste ici je vais demander si on peut passer la nuit ici.»
Le vieil homme dont la neige arrivait au niveau de la taille, se fraya un chemin jusqu’à la porte de l’auberge rouge, tant en ramant avec ses bras qu’en tirant sur ses jambes.
Zito restait sur la charrette, il lisait Phèdre de Racine à l’âne, et fini par être tellement absorbé par sa lecture qu’il n’entendit pas un mystérieux étranger s’approcher.

« Froide soirée ? Drôle de temps pour la saison »

Zito se retourna effrayé, l’homme qui lui parlait était en partie dissimulé dans l’ombre de l’attelage, il ne put que distinguer l’étrange dissymétrie de son visage, et notamment de ses yeux. « bon..ne soirée » Répondit-il d’un souffle qui sembla se geler, et tomber en poussières.
« Nous nous reverrons au théâtre demain soir »
« Comment ... »
« voyons, vous tenez le billet entre vos doigts »

Effectivement au lieu du livre qu’il croyait tenir entre ses mains quelques minutes auparavant, se dressait le ticket de théâtre. « Comment un tel prodige…» Mais l’étranger avait disparu, à sa place le vieil homme était réapparu « Qu’est ce que tu fous avec ton billet, tu veux le perdre, range le et fait moi avancer cette bourrique d’âne, j’ai trouvé de quoi passer la nuit, l’écurie est de l’autre côté de la rue .»

Une fois installé dans leur chambre, après avoir enfilé des vétements sec, ils se pointèrent pour manger dans la pièce principale de l’auberge.
Un espèce de poète lisait des poèmes en vieux français de Villon, et une grosse dame versait bruyamment une sorte de ragout dans les assiettes, que chacun faisaient passer jusqu’au bout des longues tables.
Le tout dans un vacarme assourdissant, ou chacun essayait de couvrir la voix de son voisin.
Zito était à côté d’un grand homme barbu, qui de temps en temps jetait un bout de ragout au perroquet, perché sur son épaule.
En face le vieil homme mangeait silencieusement, les yeux plongés dans son assiette.

« Tout aux tavernes et aux filles !!»
« Voila qui est bien dit, alors ? A qui profite le crime ? Je vous le demande. »
« Aux taverniers et aux filles ! »
« Et qui pense à nous, hein ! » Le gros bonhomme qui avait prononcé ces mots avait les poings plus gros que la tête de Zito, et lorsqu’il les abattis sur la table, ce dernier pensa que l’auberge allait s’effondrer.

« L’autre jour j’ai gagné aux dés, une coquette somme, le lendemain j’avais tellement bu que je ne me rappelais plus de la soirée, une fille dormait dans un fauteuil, et deux autres dans mon lit, mes meilleurs souvenirs envolés, comme ça. »

« C’est pas juste, pauvre bougre ! »

Et tous firent mine d’être affecté par la triste histoire, à moins qu’ils ne le fussent vraiment.

Sur ce ils burent leurs verres d’un seul trait, et le vacarme repris.
La nostalgie disparu aussi subitement qu’elle était arrivé, on commença des jeux d’alcool, et bientôt tout devint flou, le temps s’écoula indistinctement et les événements s’enchainèrent dans le désordre.
Zito tenta vainement de trouver une cohérence aux diverses sensations qui le traversaient, mais le contexte lui échappait, inexorablement. Comme du sable entre ses doigts, la salle rustique de l’auberge rouge, ses personnages loufoques, leurs rires et puis leurs peines, tout coula et fila lentement entre ses phalanges poussiéreuses.

Le lendemain ils déchargeaient du fromage frais de brebis, des œufs, des tomates, des carottes, de la salade, et tant d’autres produits, au marché des halles, à Roseville.
Des montagnes d’aliments, venus de n’importe où , s’amoncelaient patiemment, les tours de victuailles étaient parfois si hautes qu’on ne pouvait même plus accéder aux malheureux produits, condamnés à finir bouffés par le soleil, et troués par les corbeaux.
Mais, on continuait à décharger les charrettes, sans se soucier de l’énorme gaspillage, de toute manière tout finissait par être racheté, les petits commerçants venait d’abord, puis quand les aliments commençaient à tourner, arrivaient d’autres corbeaux de bien plus mauvaise augure: les gérants de grande surface, ils achetaient le surplus pour une bouché de pain, puis le conditionnait dans de jolis cartons qu’ils revendaient avec une marge considérable.

« Pouah ! Quel dégout, je hais la ville, regarde comme ils traitent la nourriture par ici ! Imagine le reste… »

Effectivement Zito n’en revenait pas, les revendeurs, les grossistes, les acheteurs, tous traitaient la nourriture avec mépris, les clients abimaient les carottes pour les payer moins cher, un méchant homme venait de donner une paire de claque sur les fesses d’une de ses betteraves, et un autre encore s’amusait à planter des aiguilles dans des foies de morues.
Les pauvres aliments ne s’insurgeaient même plus, résigné à leur sort, mais ils se vengeaient, disait on, en perdant de leur saveur, du coup betteraves, carottes, ou épinard, tout finissait par avoir le même gout, un gout publicitaire, de belles couleurs, mais un cœur fade.

Un gamin, venait de réussir à faire s’effondrer une tour de légume, et filait sans demander son reste.
-« Attends que je t’attrape » criait le gros moustachu au tablier carrelé rouge, mais pas fous l’autre, ne l’avait pas attendu.
« Veux tu bien m’aider, encore un sac de farine, et c’est fini » Zito aida le vieil homme qui n’avait jamais paru aussi vieux, après la soirée de la veille, le déchargement, et puis en cet instant, luttant comme un beau diable, avec un sac de farine, qui servirait à faire du pain sans odeur.
Zito eu un sérieux pincement au cœur, ils portèrent le gros sac, au tout aussi gros moustachu, qui semblait essoufflé d’avoir suivi du regard le sale mioche.

« Comment il c’est débrouillé ? Il à réussi à tout faire tomber en retirant une seule pomme ! »
« Une pomme ? » Un drôle de type était apparu, du diable sait où, les cheveux roux sous un chapeau melon légèrement trop petit, muni d’une canne au pommeau d’argent.
« C’est étrange, les vertus que l’on attribue aux pommes », l’étrange type croqua dans un fruit rouge au jus sanglant.
« Si vous étiez moins lourd, la terre serait plus légère », continua t’il, en appuyant sa canne sur le ventre bouffie du commerçant.
« Or, si l’on en croit la gravité et ses principes fondamentaux, vous êtes tout à fait responsable de la chute des légumes sur le sol, ou du moins, de la violence de l’impact, me suivez vous ? »
Le commerçant semblait pétrifié, comme si la canne était susceptible à tout moment de lui transpercer les entrailles.
« Vous n’avez donc jamais étudié la physique, je présume »
Et l’étonnant bonhomme s’en alla en riant, comme si quelqu’un venait de lui raconter une bonne blague.
Le gros moustachue, se repris, vexé sans doute de ses lacunes en science, troublé de s’être laissé baratiné peut être, et se vengea sur une malheureuse tomate.

Le déchargement était terminé, Zito et le vieil homme remontèrent les zones commerçantes de la ville, afin d’aller grignoter un bout, dans un endroit tranquille.

Zito n’en croyait pas ses yeux ! Jamais il n’avait vue autant de produits, il lui semblait, à juste titre, que l’on pouvait tout acheter dans cette région du monde, et que par conséquent tout avait un coût.
Les deux hommes se quittèrent après le restaurant, et notre jeune homme se rendit chez Colin son ami de collège, qui habitait en ville, dans les très réputés quartiers étudiants.

Il sonna en bas de l’immeuble, quelqu’un qu’il ne connaissait pas lui répondit de monter au quatrième étage, par l’ascenseur, puis de descendre au troisième par l’escalier, car le type qui avait installé l’ascenseur avait omis de programmer le troisième étage.

Il arriva donc dans un appartement assez grand, ou un tas d’étudiant assis sur un tapis, fumaient des joints et buvaient des bières, affalés sur des sofas.

Bref, des étudiants en pleine occupation.

Colin se jeta sur son ami, le pris par les épaules, et lui présenta ses convives, l’un était en droit, l’œil vif et sur de lui, un autre futur journaliste, et puis il oublia le reste de la troupe quand son regard plongea sur une fille magnifique, quand il rencontra ses grands yeux vert, quelque chose l’enveloppa, et un liquide sembla se déverser dans sa nuque, son corps trembla d’excitation et de plaisir. Pauline !

Ils discutèrent toute l’après midi, Zito parlait avec aisance, de sujets dont il n’avait pas la moindre idée, comme si les mots étaient là, quelque part dans l’atmosphère de la pièce, attendant d’être saisi, par le premier amoureux venu.

Son histoire dura quelques semaines, il arriva au bout, et ce fut comme s’il s’était réveillé.

Un rêve agréable, mais qui prenait des accents douloureux face à la triste réalité. Son amour il l’avait vécu seul, et quand il s’en était aperçu, elle lui avait filé entre les doigts, évanouie, disparue.

Il la cherchait dans son lit, se retournait dans la rue, persuadé qu’elle le suivait !

Mais rien ! plus rien ! Personne ne l’aimait ! Personne ne l’avait jamais aimé ! Personne ne l’aimerait jamais !

Avec Colin il discutait de tout ça, sur le balcon de l'immeuble.

La pièce Russe avait fait scandale, plus jamais on ne jouerait de vrais pièces dans le théâtre de la ville.

Les gens étaient horrifiés ! On leur avait donné de faux billets, des vêtements qui avaient mystérieusement disparus, du coup la plus part des spectateurs avaient déserté la salle avant la fin de la représentation.

"Rien a foutre de Ponce Pilate ! " Ils disaient, en se cachant les parties intimes, vexés d’être nue comme des vers.

Pourtant quand Marguerite s’était dévêtue, pour se rendre au bal de Satan, sur son balai magique, Zito avait commencé a sentir sa baguette se dresser.

Pauline lui tenait la main, heureusement qu’il ne raffolait pas des vétements...

Le plus curieux, c’est qu’il avait déjà croisé deux des personnages de la pièce, le roux accolite de Woland, et le diable (woland) lui-même.

Il était persuadé que celui-ci, lui avait glissé un clin d’œil, en le voyant au bras de Pauline.

Étranges personnages ! On était sans nouvelles d’eux, la police cherchait, les journalistes grattaient du papier, les politiciens promettaient, bref, tout le petit monde du théâtre de la réalité, jouait son rôle, en vain.

- c’était quand même pas croyable, tout ça !
- Vraiment pas croyable. Et Zito pensait encore à Pauline, nue sur un balai, elle aussi était partie, la peau enduite de crème magique,à la manière de Marguerite l'héroïne de la pièce de Boulgakov, le diable l’emporte !
- Sois pas triste, si j’ai fini par me trouver une chérie, tu y arriveras aussi. C’était pas la bonne personne.
- Mais c’est pas possible un truc pareil, un coup elle est là, et puis l’instant d’après elle a disparue, comment t’explique ça ?
- Les filles sont des sorcières, tout le monde le sait, mais faut qu’on les prenne pour des anges, c’est comme ça qu’elles nous ont.
- Et après ?
- Après ? On fait des concessions, on crée une place pour nous, entre je et tu, ça fait une belle différence, on vie en coloc.
- C’est bien ce que je me disais. Je dois avoir un truc pourri, qui pue à l’intérieur de moi, un jour elle a du tombée dessus, du coup elle s’est barré.
- Dis pas ça, elle t’aimait pas assez pour sentir ta souffrance, sans trouver que ça pue. C’est ça l’amour. On aime, quand on aime les défauts de l’autre, on aime ses faiblesses, ses failles, on sait que c’est ce qui le rend beau, que ça peut faire une différence, et qu’on en tirera avantage.
- T’es vraiment devenu un mec génial, comment t’as fait ?
- C’est venu tout seul, comme toi avec Pauline, j’ai eu des aventures avant, qui ont mal tournées, et puis la j’ai trouvé Lyra.
- Qui l’eu crut ? Et dire qu’on te croyait incurable au Lycée .
- C’est bon de se sentir vengé !
- Ah bon, tu leur as fait quoi ?
- Rien, je suis juste heureux, et crois moi, y’a pas de meilleures vengeances.
- Et moi je leur fait plaisir.
- On s’en fou, c’est des cons, des minables, ils ont aucunes valeurs, faut pas de soucier d’eux, ils te connaissent pas. Demain ils pourraient se mettre à t’apprécier, pour des raisons aussi absurdes, que celles qui les poussent à te mépriser aujourd'hui. Ce sont des nuls, trace ta route, faut pas qu’ils aient le temps de te voir, sinon ils vont te figer quelque part, tu seras comme tout ce qu'ils touchent, utile ! Prêt à les servir !

La porte s’ouvrit, Lyra entra dans la pièce, « Salut mon chérie ! Coucou Zito, on va au cinéma ce soir ? ».
Elle était fraiche, sa présence donnait de l’air, elle irradiait comme les plantes, et parfumait d’oxygène, tous les lieux où elle pénétrait. Pauline n’avait pas se souffle.

Zito pensa qu’il devait être si mauvais mec, qu’il l’étouffait :
« Faudra que je jette un œil sous le matelas ? ».

Fin de la première partie (suite au prochain numéro)

Publié dans Littérature

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