Un coeur qui sèche

Publié le par Gregor

La journée commençait, le métro avançait, la musique dans mes oreilles m’inventait les fantaisies, qui échappaient aux visages livides et imperméables, sur lesquels ricochait mon regard. Je me vantais de ne pas avoir cet air morose, mon orgueil vivait là, dans les stations souterraines, où chaque matin le soleil se levait entre les stations que je traversais, et souvent je retrouvais le ciel en feu après l’avoir laissé éteint. Puis venait le bus scolaire, je savais comme un condamné, que dans une heure j’allais me retrouver au banc des accusés. Seuls les mauvais élèves peuvent connaitre ce sentiment étrange, comme si des murs jusqu’au plafond tout nous contemplait avec un dégout méprisant. Surtout dans une école supérieure, je n’avais jamais bien compris ce que signifiait ce terme et puis il s’avéra que j’étais plutôt inférieur, alors j’ai commencé à apprendre les dures lois de la vie en collectivité. Je suis la réincarnation du mal le plus profond de nos sociétés, la non-coopération volontaire. J’ai déjà une pré-aversion du monde qui m’attend : trop tard, j’ai brulé les étapes, encore une mauvaise note aujourd’hui, ça me déprime, je ne suis pas sympa, en fait je ne suis plus que l’ombre de moi-même, je ne dis rien, je mange seul, j’essaie d’oublier.
Aujourd’hui notre prof a eu l’idée géniale de nous mettre par deux et de déterminer les groupes au hasard, la fille avec qui je me suis retrouvé a manqué de s’évanouir, elle me prend vraiment pour le dernier des derniers, c’était assez pathétique, mais je le pressentais, ce qui n’arrange pas le problème mais au moins je peux dire que je le savais. Dès fois je me dis que c’est pire d’avoir conscience de ce que l’on est, surtout quand comme pour moi on est plutôt dans de mauvais draps, c’est un châtiment assez cruel, on vit comme dans un autre espace temps, ce qui arrive à l’extérieur ne nous atteint plus, où à distance, on est prêts à prendre des coups, on a préparé le terrain.
J’ai croisé Florence et je ne sais si c’était moi ou l’odeur des murs qui nous entouraient, mais le parfum léger qui d’habitude avait tellement le pouvoir d’alléger mes pensés, au contraire, me précipitait dans une confusion sans nom, j’enfonçais mes mains dans leurs poches, mon visage se troublait, je bredouillais quelques phrases inconséquentes.
On parlait de Camus, j’évoquais l’étranger, et comme j’aurais pu en cet instant me fondre en lui, j’avais rêvé, et l’ironie de mon rêve, c’était cette réalité que j’avais complètement oubliée, et que je ne savais voir, ou alors pas longtemps.
Après demain nous allons au théâtre, comment vais-je faire ? Je n’en sais rien, si j’oublie de parler de moi, elle oubliera peut-être que j’existe et durant ce bref instant, je ne serai plus moi en tant qu’élève raté, mais je serai un simple jeune homme auprès d’une charmante demoiselle, pour un instant, pour un instant seulement.
Mais je n’ose espérer quelques bonheurs ici-bas, tout est si trempé d’amertume, pendant que mon cœur fume, si le sien pouvait fondre, comme le jour fuit mon ombre, la solitude hélas, le temps qui passe… Bien avant la nuit et ses doux pétales, enfermé sans un bruit, le temps qui détale… Des rêves éveillés, comme une flamme blanche, qui vient s’enrubanner, autour de ses hanches… Mais les poussières étouffent déjà la petite fleur, qui referme ses douleurs, pendant que je lui souffle… L’haleine est si puérile, elle sent encore le lait, que j’ai tété aux cils, des peines renversées… Mais ce temps s’éteint, comme une bougie perd sa mèche, demain hélas demain, et mon cœur qui se sèche.

Publié dans Littérature

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