Vérité

Publié le par Grégor

La vérité n’est pas originellement dans l’énoncé. Elle n’est pas l’accord d’un jugement avec la réalité. Cet accord est troisième. D’abord il faut que le réel soit découvert comme réel. Ce n’est que parce que nous avons la possibilité de rencontrer une tasse verte par exemple que nous pouvons dire que la tasse est verte. La question se pose pour le boson de Higgs par exemple où le jugement a été postulé quarante années avant la rencontre du phénomène à proprement parler. Si nous remontons aux origines, Thalès de Milet s’était lui-même rendu célèbre pour avoir prédit par ses calculs une éclipse solaire. En bonne logique il semblerait, dans ces deux exemples et encore davantage dans celui du boson de Higgs qui a décrit un phénomène inconnu jusqu’alors,  que le jugement précède la rencontre de la chose.
Mais ces exemples prodigieux ne risquent-ils pas de nous faire manquer un phénomène plus originel de la vérité ? Après tout, les calculs de Thalès, François Englert et Peter Higgs, n’ont pas créé la rencontre des phénomènes, ils les ont prédits. L’éclipse s’est produite spontanément, selon les mouvements conjoints du soleil, de la lune et de la terre, et la fabrication du Grand collisionneur de hadrons a permis de découvrir le boson de Higgs. Cette rencontre ne prime pas dans le temps, mais prime ontologiquement parlant.
Ces vérités exceptionnelles masquent la vérité plus originelle dans laquelle nous vivons toujours déjà. Ce monde dans lequel nous découvrons des choses, par exemple ma tasse de café verte. Cette vérité que j’énonce en disant que ma tasse est verte semble bien faible par rapport aux vérités si profondes de la physique quantique par exemple. Comme nous admirons avec raison les constructions théoriques géniales et complexes qui font l’honneur de l’intelligence humaine, nous avons tendance à passer outre ces vérités triviales sur la couleur des tasses de café ou autres. Pourtant elles nous révèlent, que leur révélation justement est première, ontologiquement parlant, par rapport au jugement que nous prononçons sur elles. Cette découverte des choses, qui est souvent muette, est pourtant seconde ontologiquement parlant.
Le premier niveau n’est pas du côté de la chose découverte, mais du côté de l’être découvrant. Pour le comprendre nous reprendrons un exemple de Heidegger. Si lors d’une promenade en forêt je crois apercevoir une biche mais qu’après vérification ce n’était qu’un buisson, que s’est-il passé ? La vision de la biche n’était-elle qu’une illusion ? Certainement pas, elle était quelque chose pour moi, j’ai bien découvert un phénomène et pas n’importe lequel. Ce n’est pas le Shah d’Iran que j’ai cru voir, il fallait que cette illusion corresponde au lieu dans lequel je me promenais, à savoir la forêt. C’est donc cette possibilité découvrante, le fait d’être en forêt, le là où je me trouvais, qui a permis cette fausse rencontre avec la biche. C’est sur le fond d’un monde connu (je sais que je peux rencontrer des animaux en forêt et peut-être que je l’espère aussi) que se font des rencontres. C’est d’ailleurs ce qui permet d’avoir des rencontres imprévues, des surprises. Nous ne nous y attendions pas et cela nous surprend : comment, je rencontre un ami, alors que je ne m’attendais à ne croiser que des inconnus ! À force de prendre des buissons pour des animaux, je finis par perdre tout espoir d’en rencontrer un, et c’est là que j’ai l’immense surprise d’en apercevoir un. C’est donc sur fond de monde qu’ont lieu les rencontres, sur fond d’espoir, d’attentes et c’est cela être un être découvrant, le premier niveau ontologique de la vérité.

Publié dans Philosophie

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