Un papillon sur mon épaule

Publié le par Gregor

Ce soir j'ai mangé chez mes grands-parents, avec mon grand père, on a eu notre moment comme ça, comme on en avait eu tant d'autres. Je lui disais que je voulais toujours devenir écrivain et il me disait que c'était comme tout, qu'il y avait une pyramide, qu'il fallait commencer par le bas et monter les échelons. Il en savait quelque chose des échelons à gravir, on ne lui avait pas laissé faire d'études, émigré italien, il était devenu patron d'une entreprise, chez Ferguson : les tracteurs ; mais lui il m'a dit ce soir, qu'il avait préféré vendre des chaussures, c'était plus artistique, et les chaussures italiennes avaient conservé dans son imaginaire une dignité particulière qui seule conservait l'empreinte du chemin de sa vie. Au bout d'un moment je lui ai dit que quoi qu'il arrive on en revenait souvent à Confucius, "son" philosophe, il avait bien mis en application les préceptes du grand sage, on les goûtait dans ses tomates, sa délicatesse, son savoir vivre.

Et puis ma mami m'a retrouvé un de mes premiers livres, une de mes premières histoires, j'avais neuf ans, et la première fois que mon père m'avait pris à son bureau, j'avais écrit et relié cette histoire, qui se passait en 9700 et quelques, j'étais capitaine d'un navire, avec lui nous partions retrouver ma mère quelque part dans l'espace, et une autre où j'escaladais un bloc de rocher, dont tout le monde avait peur, parce qu'un bateau s'y était perdu, et puis je retrouvais l'équipage, devenu une tribu d'indigènes.

Je faisais déjà beaucoup de fautes d'orthographes, et ce n'est que très tard, quand j'avais, en quelque sorte, épuisé les ressources quasi inépuisables de mon imagination, après avoir poursuivi mes délires jusques au bout du monde, que j'entrepris ce retour aux études classiques, où je m'aperçus pour la première fois de cet outil magique, que je martyrisais depuis si longtemps entre mes doigts barbares et sauvages, de la langue. 

En relisant tout cela, je me suis remémoré les pages et les cahiers noircis de pensées, de rêves ; enfin, j'avais entrepris de sauvegarder ma mémoire, ma vision des choses, tout le temps, et un peu partout.

Alors je leur disais à mes grands-parents, que ce n'était pas tellement étonnant que j'ai aussi mal réagi, dans le commerce, ça contrariait trop ma vocation, et d'ailleurs, je lui ai mis quelque chose au monde du commerce, dans mes textes, je n'ai pas épargné mes adversaires... Mais que d'énergie perdue.

Ah, les rêves, l'idéal d'écrire, et que de les mettre en page puisse résorber les failles, rendre le monde effectivement idéal.

Toute la beauté de nos jardins secrets que l'on croit protéger, et enfouir dans des tiroirs... Et oui, nous les retrouvons un beau jour et on en rit de bonheur, d'être ce que nous sommes !

Mais dans notre vie réelle, on a une peur instinctive de voir notre coeur piétiné et mis à mal, on peut être très durs,  on a bien vu que parfois des papillons venaient se poser sur notre épaule, mais sans le vouloir, de façon inconsciente, d'un mouvement inadéquat on effrayait l'adorable créature.

Il est dur de rêver, de laisser le désir pondre en nous son venin noir, car il nous faut l'objet de nos "désirs", au bout d'un moment on n'y tient plus, on explose.

Ces "désirs" sont faux, de pures hallucinations, qui ne sont pas fondées sur le réel, nous nous leurrons, d'un magnifique leurre, certes, même sous des apparences bourrues, nous demeurons au fond de notre coeur, des artistes de génie, mais rien n'est le fruit d'un long et précieux travail de chercheur, de déchiffreur d'énigme, d'aventurier de la connaissance... Nous demeurons quand nous rêvons, de pauvres âmes hallucinées.

Nous avons peur de laisser rentrer des gens dans notre jardin, on sait par avance le sort réservé aux fleurs sauvages, rares et délicates.

À cause de cela, nous nous défions des gens, mais plus fortement encore, nous ne mesurons pas la plus grande part de notre labeur.

Il n'est pas si difficile de s'élever, de partager les plus hautes cimes du monde, mais de savoir décliner, d'accepter ce monde finalement fragile, ce monde des apparences, où de peu de choses on élève des statues... La plupart des gens ont besoin de "peu", mais ils y croient fermement, comme nous pouvons croire en nos rêves, si tant est que l'on puisse y croire encore.

Et ce n'est pas rien de bien faire ce "peu", pas moins important que de faire ce qui nous parait "grand".

C'est un travail plus pénible, plus laborieux, mais il est possible de l'agrémenter de quelques délicieuses choses, légères comme les âmes défuntes qui chantent en soufflant sur les fleurs d'asphodèles.

Reste encore un peu sur mon épaule, chut ! Je ne dis plus rien, va où tu veux, mais si le coeur t'en dit, je connais des jardins immortels.

 

 

 

Publié dans Poésies

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