L'esprit dionysiaque, la musique et l'ivresse

Publié le par Gregor

Journée d’étude 

Corps et langage

L'esprit dionysiaque, la musique et l'ivresse 

 

Mon plan est d'associer le corps à la Volonté, et de montrer comment celui-ci pallie la raison (et le régime de la représentation), en prenant comme exemple le désir, et la manière dont l'esprit de Typhée est charmé par la musique de Cadmos.  

 

Note sur le concept de Volonté :

Nous comprenons le concept de Volonté surtout dans son opposition au mode de la représentation, mais cependant nous ne pouvons pas lui attribuer  la qualité de chose en soi qui pour nous est une chimère de la raison - nous suivons en cela la leçon de Kant. Qu’entendons-nous alors par la chose en soi et de quel phénomène la musique en tant qu’expression de la Volonté est-elle l’indice, autrement que négativement par opposition à la représentation ? Nous entendons positivement par le concept de Volonté la présentation du monde (et non sa re-présentation), tel qu’il nous est donné immédiatement, en chaque instant, d’une manière irréductible, puisque comme le temps il ne cesse de mourir et de se regénérer simultanément. Cependant, même si nous nous éloignons du concept de chose en soi de Schopenhauer nous avons voulu conserver le terme de Volonté, à cause du lien qu’il établit avec la musique et du potentiel de questionnement qu’il a ouvert, à travers ce concept de Volonté, à une réflexion sur la nature du désir et de l’inconscient avant l’heure. De plus, nous respectons en cela l’évolution de notre propre recherche qui a commencé avec la Naissance de la tragédie de Nietzsche, qui sous l’influence de Schoppenhauer, citait dans son ouvrage, au chapitre 16, un long extrait du Monde comme Volonté et comme Représentation, dont nous nous sommes fortement inspirés. 

 

Introduction 

 

La dieu triomphant du premier chant des Dionysiaques et qui dicte ses volontés à la fois aux dieux et aux hommes, voire aux monstres, est Éros. Dans le cadre de notre recherche nous avons étudié le rôle directif d’Éros à travers la métaphore du bouvier. Cette métaphore traverse et relie les deux épisodes du chant I, qui commence par l’enlèvement d’Europe et se termine par la séduction de Typhée : Cadmos se servant du charme de la musique afin d’aider Zeus à récupérer ses armes. Ensuite, nous nous sommes intéressés à la joute musicale entre Typhée et Cadmos et au triomphe du désir et de l’art sur la puissance cosmique déchaînée par le Géant. Enfin, nous avons tâché de définir Éros, et nous avons décelé certaines analogies entre l’ambivalence d’Éros à la fois dieu des désirs et concept primordial et cosmologique de la Théogonie d’Hésiode et celle du concept de Volonté chez Arthur Schopenhauer. En effet, il est courant d’assimiler le concept de Volonté au vouloir-vivre universel : il ne faut pas prendre ce désir au sens psychologique, même les pierres ont une force qui les poussent à persévérer dans leur être : ne serait-ce que la force qui les maintient unies et ne les laisse pas se disperser en poussière, au contraire le désir au sens psychologique est plutôt l’acte de mauvaise foi par lequel un individu qui a conscience de ses désirs cherche à les expliquer et finit par confondre ses explications avec les motifs réels de ses désirs qui ne lui sont jamais donnés. 

 

 Chez Schopenhauer, la musique est l’expression directe de cette Volonté ; or, il échoit à la musique, dans le premier chant des Dionysiaques, un rôle particulier, puisque c’est au moyen de sa flûte que Cadmos séduit Typhée et rétablit l’harmonie universelle : (v. 378)  « Κάδμε πέπον, σύριζε, καὶ οὐρανὸς εὔδιος ἔσται » (« Cher Cadmos, joue de la Syrinx et le ciel redeviendra serein »). De plus, la flûte de cadmos est l’un des nombreux instruments directifs qui permettent de mener les amants à la baguette, selon l’épithète d’Éros πανδαμάτωρ (v.404, qui dompte tout) : celle-ci est comparée à un aiguillon : τερψινόων δονάκων βεβολημένον ἡδέι κέντρῳ (v. 484 : les chalumeaux (les chalumeaux désignent la syrinx, ou flûte de pan, composée de plusieurs roseaux : δονάξ, άκος (ὁ)) en charmant son cœur l’ont percé de leur doux aiguillons). Donc la musique est l’une des expressions du désir, pris dans son sens large (le désir en tant que vouloir-vivre universel) et donc l’expression de la Volonté selon Schopenhauer.

Ce que nous avons appelé l’esprit dionysiaque à la suite de Nietzsche, qui l’emploie d’abord dans la Naissance de la tragédie, est donc ce rapport que l’homme entretient avec la Volonté et que Schopenhauer oppose à la Représentation. Nous allons donc observer de plus près le texte de Nonnos dans ce premier chant afin d’essayer de comprendre comment celui-ci exprime ce qui échappe à la représentation, c’est-à-dire au règne de la causalité. 

 

Note sur l’ivresse : 

Ce que nous appelons ivresse, est cet état particulier qui fait que nous sommes comme hors de nous, et totalement absorbé par ce que nous sommes en train de faire. L’opposition entre être et savoir que donne Jankélévitch - et qui, à la suite de Nietzsche, reconnaît dans cette polarité la source de l’art et peut-être l’ambivalence fondamentale de tout être humain - pose entre autre la question du rapport au corps, mais non pas uniquement en terme d’objectivité, comme on étudie un corps extérieur, mais dans le rapport étrange que nous entretenons avec notre corps et qui est d’abord et toujours pour nous une ouverture à l’être, c’est-à-dire : la condition de possibilité de la manifestation de l’être, (sans en être jamais séparé comme un sujet coupé de son objet) et dans un second temps quand nous faisons retour sur nous-même : objet d’un savoir (et là, se produit l’illusion d’une séparation, un oubli de l’être). Nous sommes donc les touchant-touchés de ce corps paradoxal.

Entre l’ivresse et l’esprit dionysiaque, c’est donc un même état qui nous est décrit, où un sujet est totalement absorbé dans l’Être et perd conscience de soi. Or, cet état est fondamental, d’une part parce que cet état est l’origine indépassable de tout pour l’homme, et d’autre part, puisque la tâche de tout art est de nous dévoiler ce qu’est l’Être et de nous sortir de cet oubli, cet état est celui dont découle naturellement toute poésie. 

Ainsi Typhée, totalement absorbé par cette épiphanie qu’est pour lui la révélation de la beauté de Cadmos jouant de sa syrinx, est ivre selon la définition que nous venons de donner de l’ivresse dionysiaque : et cela nous révèle quelque chose du pouvoir d’ennivrement du désir qui ne peut être désigné autrement que par le dire poétique, marqueur de l’ineffable :

 

1) v. 525-534 :

καὶ ὡς νέος ἡδέι κέντρῳ

ἁβρὸν ἐρωμανέων ἐπιθέλγεται ἥλικι κούρῃ,

καὶ πῇ μὲν χαρίεντος ἐς ἄργυφα κύκλα προσώπου,

πῇ δὲ βαθυσμήριγγος ἀλήμονα βότρυν ἐθείρης

δέρκεται, ἄλλοτε χεῖρα ῥοδόχροον, ἄλλοτε μίτρῃ

σφιγγομένην ῥοδόεντος ἴτυν μαζοῖο δοκεύει

αὐχένα παπταίνων γυμνούμενον, ἀμφὶ δὲ μορφῇ

θέλγεται ἀλλοπρόσαλλον ἄγων ἀκόρητον ὀπωπὴν

οὐδὲ λιπεῖν ἐθέλει ποτὲ παρθένον· ὣς ὅ γε Κάδμῳ

θελγομένην μελέεσσιν ὅλην φρένα δῶκε Τυφωεύς.

 

Quand un tendre adolescent, sous le doux aiguillon d’un fol amour, est séduit par une fille de son âge, il regarde tour à tour les claires pomettes de son gracieux visage, puis les lourdes grappes de sa chevelure vagabonde ; il contemple l’incarnat de sa main, puis les contours de sa gorge serrée dans un bandeau ; il admire la nudité de son cou ; sous le charme de sa beauté, il parcourt, l’un après l’autre, ses appas d’un œil insatiable et jamais ne voudrait quitter la jeune fille. C’est ainsi que, conquis par le charme de la musique, typhée livre à Cadmos son âme toute entière.

 

 

  1. Une parade amoureuse

 

Ce qui est intéressant pour nous c’est de voir la peinture qui nous est faite du corps en action. Les mots ne peuvent décrire les causes intrinsèques du désir qui aiguillonnent Typhée, et c’est bien ce que signalait Schopenhauer à propos de la Volonté : on peut certes se représenter l’objet de notre désir, mais la cause fondamentale de celui-ci nous échappe toujours. Ne pouvant expliquer par des causes rationnelles ce qui se produit, le poète est le seul à pouvoir nous peindre quelque chose de cette Volonté en acte. Ou, pour dire autrement, l’homme étant incapable de remonter la mécanique de la Volonté, ne peut pas commettre, dans le mode de la représentation, le désir, et donc, l’expression de cette volonté doit passer par l’analyse en acte, la description de ce qui est en tant qu’il est, non pas selon la reconstruction impossible d’une mécanique du désir, mais dans son effectivité même, sous le seul regard possible de l’art et de la poésie.

La musique « ennivre » totalement Typhée qui « livre à Cadmos son âme toute entière » : ὣς ὅ γε Κάδμῳ / θελγομένην μελέεσσιν ὅλην φρένα δῶκε Τυφωεύς. C’est bien sous le charme de la musique (littéralement il livre toute son âme charmée par la musique : θελγομένην μελέεσσιν ὅλην φρένα δῶκε) que Typhée est comme hypnotisé, le désir qu’il éprouve pour Cadmos est comparé à celui qu’un jeune homme peut éprouver pour une jeune fille lorsqu’il comptemple ses nombreux appâts, mais pour Typhée, c’est sous l’effet de la musique que se produit cet oubli total de soi.

Nous avons d’autres exemples où le langage corporel supplée au discours afin d’exprimer cette sorte de parade amoureuse, parfois grotesque, du beau Phénicien et du monste. Ainsi, lorsque le rusé Cadmos demande à Typhée des cordes sufisamment solides pour lui permettre de se fabriquer une lyre, espérant par ce biais récupérer les nerfs de Zeus, le Géant qui cherche à lui plaire acquiesse d’un double mouvement des sourcils et de la tête, mais sa chevelure étant composée de serpents ce mouvement provoque un jet de venin totalement disgracieux : 

 

2) ἔννεπε· καὶ χαροπῇσιν ἐπ’ ὀφρύσι νεῦσε Τυφωεύς,

καὶ πλοκάμους ἐδόνησεν· ἐρευγομένων δὲ κομάων

ἰὸν ἐχιδνήεντα περιρραίνοντο κολῶναι. v. 507-510

Il dit ; et, d’un signe de ses terribles sourcils, Typhée acquiesse ; il secoue ses boucles ; sa chevelure, crachant le venin de ses vipères, le fait pleuvoir sur les montagnes. 

 

La parade amoureuse commence par le jeu de Cadmos qui feint d’avoir peur et se cache, comme une nymphe effarouchée : 

 

3) ἰδὼν δέ μιν ἐγγύθι λόχμης

Κάδμος, ἅτε τρομέων, ὑπὸ ῥωγάδι κεύθετο πέτρῃ.

ἀλλά μιν ὑψικάρηνος ἀλυσκάζοντα νοήσας

νεύμασιν ἀφθόγγοισι πέλωρ ἐκάλεσσε Τυφωεύς,

καὶ δόλον οὐ γίνωσκε λιγύθροον· ἀντιτύπῳ δὲ

ποιμένι δεξιτερὴν μίαν ὤρεγεν, ἄρκυν ὀλέθρου

ἀγνώσσων·

 Quand Cadmos l’aperçoit près du taillis, il feint la peur et se cache dans la fente d’un rocher. Mais de sa haute tête il l’a vu fuir le monstrueux Typhée ; il l’appelle par des signes muets sans soupçonner la perfidie de son air harmonieux ; au berger contrefait il tend l’une de ses mains droites, sans deviner le filet du trépas ;

 

Nous signalons l’importance ici de ces signes muets, νεύμασιν ἀφθόγγοισι, qui servent à exprimer ce désir et remplacent les mots, incapables de rendre compte de cette expérience, de la même manière que les mots sont incapables de décrire la musique et l’être en général. 

Cependant dès le début nous assistons à une scène de mime, où Typhée cherche en tendant l’oreille à remonter la source de cet enchantement :

 

4) τερψινόου σύριγγος ἐδίζετο γείτονα μολπὴν

ἑσπόμενος μελέεσσιν· v. 418-419

Il cherche, en se laissant guider par le son, d’où vient le chant tout proche de la syrinx  qui charme son cœur.

 

Cette parade amoureuse, qui se joue dans le silence, alors que par ailleurs, les deux protagonistes échangent aussi des propos, nous indique quelque chose sur la manifestation du désir qui saisit malgré lui le malheureux Typhée.

II La manière dont la musique affecte Typhée 

 

Typhée est affecté par la musique, il est saisi par elle et ne répond plus de lui. Il restitue ainsi sans le savoir ses nerfs à Zeus et provoque sa chute en perdant les armes du Cronide. Sans avoir été profondément touché par la musique, rien de tout cela n’aurait été possible et nous ne pouvons nous empêcher de souligner le pouvoir invraisemblable de la musique qui parvient à détourner de ses ambitions démesurées le monstre qui avait pourtant sa destinée en main.

 

5) v. 519-520 : 

καὶ οὔατα πολλὰ τιταίνων

ἁρμονίης ἤκουε καὶ οὐ γίνωσκε Τυφωεύς.

Et Typhée tend la multitude de ses oreilles ; il écoute l’harmonie sans comprendre.

 

 L’attirance de Typhée semble d’autant plus forte qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive. Or cela nous révèle quelque chose de l’essence dionysiaque de la musique qui pour exprimer la Volonté ne doit pas passer par la raison : elle est efficace dans la mesure où elle touche directement les sens, et le charme est rompu aussitôt que l’innocence dans l’ivresse cesse. Typhée s’abandonne au dard du désir, mais peut-être ne devons-nous pas comprendre cette attirance, malgré la comparaison du désir qu’éprouve un jeune homme pour une jeune fille, uniquement en terme sexuel, mais rappeler que Typhée est celui qui menace l’équilibre du cosmos, et que cette force du désir que nous voyons uniquement sur le modèle du désir humain est quelque chose de plus universel, qui se rapproche de l’harmonie du cosmos et de l’attirance naturelle que les éléments peuvent avoir entre eux, qui tient le monde uni et non pas dispersé dans le vide / chaos (béance). Paul Mazon écrit à propos d’Éros : « Ce que les anciens penseurs entendaient par ce nom, c’était la force mystérieuse qui leur semblait pousser les éléments de la matière les uns vers les autres pour créer toujours des êtres nouveaux, conception qui reparaîtra dans la φιλία d’Empédocle, qui ne cessera de hanter l’imagination des poètes de tous temps, et qui n’est sans doute qu’une marque de l’impuissance de notre esprit à imaginer la création autrement qu’à l’image de la génération humaine ».

 

6) v. 387-389 : exhortation de Zeus à Cadmos, afin de l’encourager à tromper Typhée : 

 « γίνεο βούτης

ἐς μίαν ἠριγένειαν, ἀμερσινόῳ δὲ λιγαίνων

ῥύεο ποιμενίῃ σέο πηκτίδι ποιμένα κόσμου. »

« Deviens bouvier pour une seule aurore et, par la musique ensorceleuse de ta flûte pastorale, sauve le pasteur de l’Univers. »

 

la flûte (πηκτίς, ἰδος (ἡ) : propr. formée par un assemblage, d’où la flûte de Pan) est qualifiée d’ ἀμερσί-νοος, οος, οον ce qui signifie : qui enlève la raison (d’ἀμέρδω : priver de et νόος : l’intelligence, l’esprit, la pensée). L’attribut de la musique est donc d’hôter l’esprit, de faire sortir du mode de la représentation et de permettre d’entrer dans celui de la Volonté qui n’est que désir et que nous avons qualifié d’ivresse dionysiaque.

 

7) « βαιὸν ἐμῆς σύριγγος ἐθάμβεες ἦχον ἀκούσας· »  v. 486

"Humble est la musique de ma syrinx qui vient d’étonner ton oreille»

 

Nous avons le verbe θαμβέω, qui signifie être frappé d’étonnement, de stupeur. Θάμβος, ους (τὸ) signifie effroi, étonnement, stupeur d’où particul. admiration : nous avons déjà un aperçu de l’état final dans lequel Typhée termine ce premier chant. Cet état est un état d’inhibition, où le patient est totalement paralysé : sa volonté est inopérante. Tout le processus par lequel nous pensons habituellement le fait d’agir, comme une réponse mécanique au fait de vouloir faire quelque chose, est entravé. Sous l’effet d’une émotion forte : la peur, la surprise, l’admiration, une inexplicable attirance, le sujet qui se croit tel ne répond plus de ses actes et une volonté aliénante semble agir malgré lui. En réalité, c’est toute la question du « lui » qui s’ouvre et la perspective ancienne et la confortable assurance du sujet devant lui-même qui vole en éclat. 

 

Typhée est comme frappé par la foudre, et ce coup de foudre le frappe par les oreilles, l’aiguillon du désir n’entre pas, comme il est usuel de le décrire, par les yeux mais par les oreilles : 

 

8) τερψινόων δονάκων βεβολημένον ἡδέι κέντρῳ, v. 484

Les chalumeaux en charmant son cœur l’ont percé de leur doux aiguillons.

 

Dans cet exemple aussi c’est la musique qui charme le Géant :

 

9) ἔνθα Γίγας φιλάοιδος ἐχιδναίῳ ποδὸς ὁλκῷ

ἄνθορεν εἰσαΐων δόλιον μέλος· 

Alors le Géant, épris de musique, se dresse d’un bond sur les anneaux de ses jambes vipérines, quand il entend la perfide mélodie. 

 

La musique se substitue donc au regard pour foudroyer le géant et enchaînner sa volonté. Ce n’est donc pas la beauté plastique que Nietzsche qualifiait d’apollinnienne qui asservit le monstre mais la musique dionysiaque. Il est significatif que l’ekphrasis de la jeune fille soit une comparaison afin de nous faire comprendre (c’est-à-dire voir ?) les invisibles filets sonores qui enlacent l’âme de Typhée.

 

Le pouvoir de la musique :

 

Nous avons déjà souligné le pouvoir incroyable de la musique qui parvient à détourner le monstre de ses projets de conquête du monde et provoque sa mort. Mais dans son dialogue, Cadmos qui machine une ruse pour récupérer les nerfs de Zeus, présente son art d’une manière qui a retenu notre attention. Évidemment, Cadmos dupe Typhée, ce qu’il dit doit donc être pris avec des pincettes, mais même si le géant est sous le charme, il faut tout de même que le mensonge soit un minimum vraisemblable pour que le monstre se laisse abuser et que Cadmos ose un tel récit. 

La musique est décrite comme ayant pouvoir sur toute chose, capable d’arrêter le cours du temps et de charmer tous les éléments, Cadmos devient l’émule d’Orphée :

 

10) « εἰ δέ ποθ’ εὕρω

νεῦρα πάλιν σφριγόωντα, μέλος πλήκτροισι τιταίνων

θέλξω δένδρεα πάντα καὶ οὔρεα καὶ φρένα θηρῶν·

καὶ στέφος αὐτοέλικτον, ὁμόζυγον ἥλικι γαίῃ,

Ὠκεανὸν σπεύδοντα παλινδίνητον ἐρύξω

τὴν αὐτὴν περὶ νύσσαν ἄγειν κυκλούμενον ὕδωρ,

ἀπλανέων δὲ φάλαγγα καὶ ἀντιθέοντας ἀλήτας

στήσω καὶ Φαέθοντα καὶ ἱστοβοῆα Σελήνης. » v. 492 ….

Si jamais je retrouve des nerfs aussi résistants, la mélodie qui montera de mon plectre charmera toutes choses, les arbres, les montagnes et les âmes des fauves ; l’Océan, compagnon et contemporain de la Terre, lui qui se replie sur soi-même en couronne, aura beau vouloir refluer vers sa source : je l’empêcherai de rouler en cercle son onde dans la même carrière ; la phalange des astres fixes, les planètes au cours contraire, je les immobiliserai, ainsi que Phaéton et le timon des bœufs de Séléné. »

 

Bien sûr nous pouvons penser que ce n’est qu’une manière de parler, d’extrapoler. Mais que se cache-t-il sous ses exagérations ? Nous pouvons penser que la musique a le pouvoir de charmer les humains et que ce pouvoir s’est étendu de manière arbitraire en poésie au règne animal, végétal et minéral, voire aux astres et aux planètes. Mais s’il existait un lien, difficile à percevoir pour nous, entre l’essence du monde, la Volonté et la musique. L’harmonie universelle n’est peut-être pas une simple analogie, ni une manière frivole de parler, mais peut-être que dans l’expérience que nous faisons de l’Être et que les Grecs avant nous ont éprouvé, nous ressentons ce sentiment puissant, qui n’est pas intelligible, de faire partie d’un tout, d’être liés intimement au monde et que nous n’éprouvons nulle part ce sentiment aussi précisément que sous le charme de la musique. Ce que nous éprouvons ainsi, c’est l’unité partout présente de l’être oublié, nous retrouvons cette unité originelle perdue, cet âge d’or où l’homme était encore capable d’accueillir la présence du monde, à l’écoute de ce qui est, libre du cercle de la représentation dont il s’est rendu esclave.

 

Nous avons donc montré par la peinture en acte d’une parade amoureuse, par le charme invincible de la musique qui parvient à charmer l’esprit de Typhée et enfin par la manière dont Cadmos vante son propre art auprès du monstre qu’il tente de duper, toutes les manifestations ineffables du vouloir-vivre universel, du désir impétueux qu’il ne faut pas penser en terme psychologique, mais comme une force universelle : union fondamentale de tout ce qui est. Or, seul l’art est capable de nous dire quelque chose de l’être qui est toujours situé au-delà de ce qu’on peut en dire, c’est pourquoi la musique qui remplit toute chose «… passe à côté de nous comme un paradis familier, quoique éternellement lointain, à la fois parfaitement intelligible et tout à fait inexplicable, parce qu'elle nous révèle tous les mouvements les plus intimes de notre être, mais dépouillés de la réalité qui les déforme » (Le monde comme volonté et comme représentation, Livre III, §52)

 

 

Annexes :

L’harmonie universelle et la musique 

Dans sa Naissance de la tragédie, Nietzsche fait un long emprunt à Schopenhauer par lequel nous voudrions commencer car il exprime très clairement ce que nous recherchons à travers la musique : chapitre 16 : 

« (...) La musique, si on la considère en tant qu’expression du monde, est une langue générale au plus haut degré, qui est même à la généralité des idées dans un rapport identique à celui qui existe entre ces idées et les choses concrètes. Mais sa généralité n’est en aucune sorte cette généralité vide de l’abstraction ; elle est d’une toute autre espèce et inséparable d’une précision évidente et intelligible à chacun. (...) Toutes les impulsions, les émotions, les manifestations de la volonté imaginables, toutes ces contingences de l’âme humaine jetées par la raison dans l’immensité négative de la notion de " sentiment ", peuvent être exprimées à l’aide de la multitude infinie des mélodies possibles, mais toujours exclusivement dans la généralité de la forme pure, sans la substance, toujours seulement en tant que chose en soi, non pas en tant qu’apparence, en quelque sorte comme l’âme de l’apparence, incorporellement. Ce rapport intime, qui existe entre la musique et la véritable essence de toutes choses, nous explique aussi pourquoi, lorsqu’au prétexte d’une scène, d’une action, d’un événement, d’un milieu quelconques, résonne une musique adéquate, celle-ci semble nous en révéler la signification la plus secrète et s’affirme le plus exact et le plus lumineux des commentaires ; et nous comprenons également comment celui qui s’abandonne sans réserve à l’impression produite par une symphonie croit voir se dérouler devant ses yeux tous les événements imaginables de la vie et du monde. Cependant, à la réflexion, il ne peut alléguer aucune ressemblance entre ces combinaisons sonores et les objets évoqués par leur audition. Car, je l’ai déjà dit, la musique diffère de tous les autres arts en ceci qu’elle n’est pas la reproduction de l’apparence, ou mieux, de l’adéquate objectivité de la volonté, mais bien l’image immédiate de la volonté elle-même, et représente ainsi, en face de l’élément physique, l’élément métaphysique du monde, à côté de toute apparence, la chose en soi. On pourrait donc définir le monde aussi bien comme musique matérialisée que comme " volonté matérialisée " et l’on comprend ainsi pourquoi la musique confère aussitôt à tout tableau, à toute scène de la vie réelle, une signification plus haute et cela, certes, avec une puissance d’autant plus grande que l’analogie est plus étroite entre sa mélodie et l’apparence dont il s’agit. C’est ce qui fait qu’il est possible d’adjoindre à la musique un poème comme chant, une description figurée comme pantomime, ou les deux réunis comme opéra. Ces images particulières de la vie humaine, introduites dans le langage universel de la musique, n’ont pas avec elle un lien ni une correspondance absolument nécessaire ; elle s’en sert comme d’exemples occasionnels à l’appui d’une idée générale, elles représentent, grâce à la précision de la réalité, ce que la musique exprime à l’aide de la généralité de forme pure de la sensation. Car les mélodies sont jusqu’à un certain point, comme les idées générales, un abstractumde la réalité. En effet celle-ci, c’est-à-dire le monde des choses concrètes, fournit le perceptible, le particulier et l’individuel, le cas isolé, aussi bien à la généralité des idées qu’à celle des mélodies ; mais ces deux généralités sont à certains égards opposées l’une à l’autre, en ce sens que les idées contiennent seulement les formes tout d’abord et en premier lieu abstraites de la perception, en quelque sorte l’écorce superficielle détachée des choses, et sont, par conséquent, des abstractions absolues, tandis que la musique donne le noyau préexistant, la substance la plus intime de tout phénomène apparent, le cœur même de choses. Ce rapport s’exprimerait parfaitement au moyen de la terminologie des scholastiques, en disant : les idées sont l’universalia post rem, mais la musique donne l’universalia ante rem, et la réalité l’universalia in re. — Ainsi qu’il a été dit déjà, la raison pour laquelle il est possible d’établir une relation entre une composition musicale et une représentation perceptible, est que toutes deux sont seulement des expressions totalement distinctes de la même essence intime du monde. Aussi lorsque, dans un cas déterminé, cette relation se manifeste avec évidence, lorsque le compositeur a su rendre, dans la langue générale de la musique, les mouvements de la volonté qui constituent la matière essentielle, le noyau d’un événement donné, alors la mélodie du Lied, la musique de l’opéra sont expressives. Mais cette analogie discernée par le musicien doit être chez lui le résultat de la perception immédiate de l’essence du monde, à l’insu de sa raison, et non pas une imitation consciente, préméditée, et obtenue par l’intermédiaire des idées. Autrement, la musique n’exprime pas l’essence intime du monde, la volonté elle-même, elle est seulement l’imitation incomplète de son apparence ; ainsi qu’il advient pour toute musique spécialement imitative. » 

Extrait choisi dans le précédent :
Welt als Wille und Vorstellung I, p. 309: «Toutes les impulsions, les émotions, les manifestations de la Volonté imaginables, toutes ces contingences de l’âme humaine jetées par la raison dans l’immensité négative de la notion de « sentiment », peuvent être exprimées à l’aide de la multitude infinie des mélodies possibles ...»

«Alle möglichen Bestrebungen, Erregungen und Aeusserungen des Willens, alle jene Vorgänge im Innern des Menschen, welche die Vernunft in den weiten negativen Begriff Gefühl wirft, sind durch die unendlich vielen möglichen Melodien auszudrücken... » 

Les Traducteurs J. Marnold et J. Morland traduisent « möglichen » par « imaginable », alors que notre dictionnaire nous donne « possible », ce qui peut faire une différence de nuance importante car le possible n’est justement pas l’imaginable, et entre les deux se glisse le filtre de la représentation qui n’est justement pas celui à travers lequel la musique entend le monde. Mais ce que nous avons voulu mettre ici en relief c’est le domaine ici délimité par Schopenhauer, ce domaine de pensée est celui de la « Volonté « (der Wille) qui est un concept phare du philosophe et qui a une signification intattendue ici. Nous pensons d’abord la volonté comme une décision effective, conforme à une intention, ou comme une disposition à vouloir agir. La volonté est perçue comme une intention en rapport avec l’accomplissement d’un acte. Mais cette volonté là est celle d’un sujet, cette volonté est une expression de la manière métaphysique de penser, d’un sujet qui se croit libre et autonome et dont le premier acte, fondateur de toute volonté, serait le cogito, (Spinoza dirait que l’homme se considère comme « un empire dans un empire » car il est conscient de ses volitions mais non de leurs causes), mais chez Schopenhauer le concept de Volonté est creusé et partant d’une signification psychologique il tend de manière asymptotique à se rapprocher de l’unité essentielle du monde
. Schopenhauer oppose la représentation à la Volonté, la représentation étant soumise au principe de raison (en plus de celui de l’espace et du temps), c’est-à-dire à une régression infinie et inachevable de la recherche de la cause de la cause. La Volonté est un mot magique, c’est la chose la mieux connu et la plus immédiatement, mais ses motifs sont un mystère insondable. La Volonté est transindividuelle, elle agit à travers le sujet comme une volonté étrangère, elle se rapproche de l’instinct et de l’impulsion et nous ne la trouvons jamais si l’on se place du point de vue des raisons. Si nous prenons l’exemple du désir sexuel, il est évident que la pluspart des êtres vivants ressentent ce désir mais la cause de cette volition leur est inconnue. Ce désir peut les pousser dans certains cas à sacrifier leur vie, ce qui laisse penser que le vouloir de l’espèce agit à travers cet instinct propre et individuel. Nous retrouvons dans cet exemple l’ambiguité du concept de Volonté qui est à la fois intime (« im Innern des Menschen», «à l’intérieur de l’homme») et à la fois l’expression d’un vouloir vivre universel qui agit de telle sorte qu’une certaine harmonie semble unir tout ce qui est (une finalité sans but ?). 

Nous nous intéresserons, au rôle d’Éros dans l’aventure de Cadmos, après avoir tâché de démontrer que la flûte de celui-ci était l’une des nombreuses manifestations symboliques du pandamator. 

v. 363 - v. 367, Nonnos de Panopolis, Dionysiaques chant I : « τοξοφόρῳ γὰρ 

Ζεὺς Κρονίδης σὺν Ἔρωτι πόλον δινωτὸν ἐάσσας
φοιταλέῳ μαστῆρι δι’ οὔρεος ἤντετο Κάδμῳ
πλαζομένῳ, ξυνὴν δὲ πολύτροπον ἤρτυε βουλὴν
ῥαψάμενος Τυφῶνι δυσηλακάτου λίνα Μοίρης. »
« En effet Zeus, fils de Cronos quitte avec l’archer Éros la voute du ciel, alors que Cadmos bat la montagne dans ses recherches errantes. Il va le trouver et l’associer à l’artificieux dessein qu’il trame, tissant pour Typhon les rêts filés par la destiné sur une quenouille de 

malheur. » 

Zeus qui par inadvertance s’est fait dérober ses armes par le monstrueux Typhon vient trouver Cadmos afin de l’associer au dessein qu’il trame, afin de les récupérer. Or, Zeus ne quitte pas seul le ciel, il est accompagné d’Éros : « τοξοφόρῳ γὰρ / Ζεὺς Κρονίδης σὺν Ἔρωτι πόλον 

δινωτὸν ἐάσσας ». Éros est qualifié de τοξο-φόρος, ος, ον, c’est-à-dire de porteur d’arc, or cet arc n’est pas n’importe lequel, il est celui qui symbolise la fonction du dieu. Cet arc est celui qui sert à lancer les flèches qui inspirent le désir aux êtres. Or cet arc est aussi comparé par Nonnos à un bâton de berger, dont nous avons montré l’importance dans la première partie : 

v. 80 : épisode d’Europe : βουκόλος αὐχένα δοῦλον Ἔρως ἐπεμάστιε κεστῷ 

καὶ νομίην ἅτε ῥάβδον ἐπωμίδι τόξον ἀείρων
Κυπριδίῃ ποίμαινε καλαύροπι νυμφίον Ἥρης
εἰς νομὸν ὑγρὸν ἄγων Ποσιδήιον·
« le bouvier Éros fouette du ceste sa nuque asservie et, tenant sur l’épaule son arc tel un bâton de berger, il mène paître l’époux d’Héra, avec cette houlette de Cypris, dans les pâtures humides de Poseidon » 

Mais nous nous demandons s’il n’est pas aussi lié à l’Éros de la Théogonie d’Hésiode, c’est-à- dire, une divinité primordiale. Pour se faire nous comparerons le texte d’Hésiode et celui de Nonnos relatif à l’adresse de Zeus à Éros, lorsque ce dernier prépare le moyen de reconquérir ses armes. 

Texte de Nonnos : v. 398-407 :


“καὶ σύ, τελεσσιγόνοιο γάμου πρωτόσπορος ἀρχή, τεῖνον, Ἔρως, σέο τόξα, καὶ οὐκέτι κόσμος ἀλήτης.
εἰ πέλεν ἐκ σέο πάντα, βίου φιλοτήσιε ποιμήν, ἓν βέλος ἄλλο τάνυσσον, ἵνα ξύμπαντα σαώσῃς·
ὡς πυρόεις, Τυφῶνι κορύσσεο, πυρσοφόροι δὲ
ἐκ σέο νοστήσωσιν ἐμὴν ἐπὶ χεῖρα κεραυνοί.
πανδαμάτωρ, ἕνα βάλλε τεῷ πυρί, θελγόμενον δὲ
σὸν βέλος ἀγρεύσειε, τὸν οὐ νίκησε Κρονίων· Καδμείης δ’ ἐχέτω φρενοθελγέος οἶστρον ἀοιδῆς,
ὅσσον ἐγὼ πόθον ἔσχον ἐς Εὐρώπης ὑμεναίους.“


« Et toi, semence première, principe des unions génératrices, Éros, tends ton arc et l’univers ne s’en ira plus à la dérive, si tout procède de toi, berger de la vie qui préside à l’amour, décoche encore un trait, un seul et tout sera sauvé, puisque tu es de feu, combats Typhon et que grâce à toi les foudres porteuses de feu reviennent dans ma main. Toi qui dompte tout les êtres, frappes-en un seul de ta flamme et que ton trait capture en le charmant celui que le Cronide n’a pas su vaincre. Le dard dont la musique de Cadmos ensorcellera son cœur, puisse-t-il être aussi fort que le désir que j’ai ressenti moi-même pour l’hymen d’Europe ! » 

Texte d’Hésiode : Théogonie,v.116-122 :


ἤτοι μὲν πρώτιστα Χάος γένετ’· αὐτὰρ ἔπειτα Γαῖ’ εὐρύστερνος, πάντων ἕδος ἀσφαλὲς αἰεὶ
(ἀθανάτων οἳ ἔχουσι κάρη νιφόεντος Ὀλύμπου,
Τάρταρά τ’ ἠερόεντα μυχῷ χθονὸς εὐρυοδείης,)
ἠδ’ Ἔρος, ὃς κάλλιστος ἐν ἀθανάτοισι θεοῖσι, λυσιμελής, πάντων τε θεῶν πάντων τ’ ἀνθρώπων
δάμναται ἐν στήθεσσι νόον καὶ ἐπίφρονα βουλήν


« Donc, avant tout, fut Abîme ; puis Terre aux larges flancs, assise sûre à jamais offerte à tous les vivants, et Amour, le plus beau parmi les dieux immortels, celui qui rompt les membres et qui, dans la poitrine de tout dieu comme de tout homme, dompte le cœur et le sage vouloir.» 

La place accordée par Hésiode à Éros pose un problème à Paul Mazon qui dans son introduction des belles lettres au texte de la Théogonie, considère que le fait de « dompter le cœur et le sage vouloir dans le cœurs des dieux et des hommes » ne justifie pas qu’il soit considéré comme une divinité primordiale puisque ni les dieux ni les hommes n’existent quand le poète fait mention de celui-ci dans sa théogonie : sa fonction doit donc être autre afin de justifier la présence d’Éros dès le début de la naissance de l’univers. Mais nous pouvons aussi faire le raisonnement inverse et considérer que cet Éros primordial n’est pas d’une nature foncièrement différente de celui que nous connaissons mieux et qui est le dieu des amours. Paul Mazon écrit : « Ce que les anciens penseurs entendaient par ce nom, c’était la force mystérieuse qui leur semblait pousser les éléments de la matière les uns vers les autres pour créer toujours des êtres nouveaux, conception qui reparaîtra dans la φιλία d’Empédocle, qui ne cessera de hanter l’imagination des poètes de tous temps, et qui n’est sans doute qu’une marque de l’impuissance de notre esprit à imaginer la création autrement qu’à l’image de la génération humaine». Ce qui est surprenant, c’est combien le concept de Volonté de Schopenhauer est proche de cette conception de l’Amour, à la fois comme divinité primordiale et cosmologique et à la fois comme celle qui agit à travers les inidvidus pour leur inspirer un désir qui dompte le sage vouloir, c’est-à-dire qui échappe à tout contrôle de la raison : τ’ ἀνθρώπων / δάμναται ἐν στήθεσσι νόον καὶ ἐπίφρονα βουλήν. Que ce vouloir soit divin ou humain, qu’il se situe au niveau du cosmos ou au niveau de l’humanité, c’est bien le vouloir (βουλή) et la pensée (νόον) qui sont à l’école de cette divinité primordiale.
 Cet Éros ressemble à l’union première, oiginelle de ce qui est, il est comme l’expression de cette Volonté prise dans un sens métaphysique que nomme Schopenhauer et qui est l’unité du tout, il semble être une expression de l’harmonie universelle. 

Le texte de Nonnos le nomme ἀρχή, c’est-à-dire principe (à la fois ce qui est premier et qui commande) des unions génératrices, et nous sommes donc tout à fait proche du commentaire de Mazon que nous avons cité. Puis Nonnos ajoute : εἰ πέλεν ἐκ σέο πάντα. Πέλεν est l’équivalent assez souvent chez Nonnos du verbe être, « si tout ce qui est provient de toi » nous dit Nonnos à propos d’Éros en lui donnant ainsi un statut ontologique qui le rapporche de la φύσις si bien analysée par Heidegger. Or, si nous pensons au rôle qu’il joue dans la narration, il est celui auquel l’instrument musical de Cadmos s’associe afin de charmer Typhon et de rétablir l’harmonie universelle.

Publié dans Philosophie

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