Melancholia

Publié le par Gregor

 

L'inaperçu est pourtant là, à l'oeuvre, bien au froid, il regarde notre vie qui s'active et gambade, pendant que la mélancolie enroule les spires de notre asphyxie. 
Il guette notre attitude positive et agaçante d'un regard sans regard, car ses yeux depuis longtemps becquetés par de mauvais corbeaux ne prédisent plus rien. 
Ces oiseaux de mauvais augure ont cessé de vomir l'avenir de leur croassement sordide. Ne demeure en ce monde que la folle agitation stérile de ceux qui jouent leurs dix-huit trous. 
Cessez tout mouvement, la fuite du temps est encore le temps, nous voulons fuir la mort, mais n'avons pas d'espace, pas de chemin secret, nul pas qui nous demeure, que la somme engloutie de nos appétits borgnes. 
En attendant vivons, comme nous vivons tous, gambadant et flairant la plus ou moins bonne affaire, troquons ce fiel salace que nous inflige le naître, allons, puisque nul ne saurait respirer cette angoissante vie, vidée de distractions. 
Qui saurait voir, hélas, au-delà du soleil ? Cette planète jumelle, pleine de secrets. Ô vide que nous connaissons trop. Cependant, comment parler ici de connaissance ? Nous parlons d'une brève lueur noyée dans un profond et tenace oubli, dont le Léthé originel abreuve les autres bêtes... 
Mais cette planète humaine et schizophrène, ce rayon fou de conscience, cette mélancholia fatale que Narcisse a contemplée, préférant à la clarté de cette douloureuse image, le fond tourbeux et glauque, d'eau et d'algues mêlées à ses poumons sans air. 
La noble planète vogue, elle porte sans doute un collier d'aube et de roses blanches, mais nous ne la voyons pas. 
Cachée dans l'ombre insoupçonnable du soleil, soeur homicide, elle foule sur l'orbite terrestre, jetée en sens inverse dans un tourbillon vague, les prairies bienheureuses. 
Elle avance imperceptiblement, avalant les secondes comme on bat des paupières, infusant son venin noir sur la vie qu'elle rature de sa griffe sans appel. 
Nous n'avons pas le temps d'argumenter en faveur de notre vie, que celle-ci, ainsi que nos arguments, se sont engouffrés derrière l'horizon, de l'autre côté du temps dont on ne revient pas. 
Nous ne sommes pas Orphée, pour accomplir ses prodiges, et nous ne pouvons revenir ne serait-ce que de la seconde qui vient de s'écouler. 
Il n'est pas de distance au royaume du Temps, une seconde passée n'est pas plus proche qu'une semaine, un an ou mille années. 
L'instant irrémédiable, que nous ne ressusciterons pas, fuit, fuit déjà, lui qui ne sera jamais plus, posé sur la cheminée, il répète son prologue sans suite, éploie ses ailes funestes aux mortels. 
Et mon esprit glisse dans cette prison, sur ces paroles de néant qui sans cesse recommencent, et mes frères dans la même ombre cherchent une même lumière. 
Toute l'intelligence des hommes, tous les prodiges à venir, ne sont d'aucune prise, tout glisse, et nous sommes toujours là. Mais ce là n'est plus là, mais ce nous n'est plus nous, nous ne sommes qu'en recul sans cesse de nous-mêmes. Nous n'apercevons que la disparition d'un monde éphémère. 
Et notre esprit impuissant contemple sa blessure.

Publié dans Philosophie

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