La Gravité de l’être

Publié le par Grégor

Pierre Montebello, dans ses cours de licence, Composer des mondes, parle de « gravité de la vie, laquelle réside dans la totalité des relations terrestres où celle-ci est immergée », à propos du film bien connu Gravity. Il oppose à ces « relations terrestres », « l’apesanteur du vide ».
Nous avions écrit quelques vers à propos de ce vide de l’univers :
Que me font les astres éthérés sans la vie, et sans la Gravité de la vie, qui ne lui permet pas de fuir dans l’infini mathématique de l’espace sidéral.
Pascal écrivait qu’« ainsi les tableaux vus de trop loin et de trop près. Et il n’y a qu’un point indivisible qui soit le véritable lieu. Les autres sont trop près, trop loin, trop haut ou trop bas. La perspective l’assigne dans l’art de la peinture. Mais dans la vérité et dans la morale, qui l’assignera ? »
De quelle « vérité » parle-t-il sinon de celle de l’être et de sa Gravité ?
Et de quelle « morale » sinon de celle qui est guidée par la justice ?
Ce texte de Pascal nous semble d’une rare perfection, d’un côté la vérité de l’être, de l’autre celle des étants.
Quel est ce « point indivisible » et pourquoi indivisible ?
« Le véritable lieu », est-ce à dire le là du Dasein (être-le-là) ?
Nous avons souvent parlé de totalité pour ce don de l’être, ce il y a, nous avons également parlé, par analogie avec la lettre sur l’infini de Spinoza, d’infini. Une totalité infinie donnée. Cette totalité infinie donnée consiste à dire que le il y a de l’être n’est pas divisible en parties. On ne le reconstitue pas non plus partie par partie. Il est indivisible. De la même manière qu’un segment ne se reconstitue pas point à point. Sauf que rien n’est donné à proprement parler sans partie (nul en étendu), en revanche tout est donné et ce don est indivisible, incontournable, incommensurable.
L’analogie de Pascal est géniale : « les tableaux vus de trop loin et de trop près ». Tout le monde comprend qu’il y a une juste place. C’est cette place qui constitue la Gravité de l’être. Et elle est l’opposée de la vision aberrante de Pascal perdu dans ses deux infinis. L’homme justement n’est pas perdu dans l’infiniment petit et l’infiniment grand, il est entre, là où il habite vraiment, dans la merveilleuse densité de son quotidien.
La Gravité de la vie est simple, elle est dans la voix de nos amis, dans les chansons qui peuplent notre existence, « longtemps, longtemps, longtemps, après que les poètes ont disparu, » mais cette simplicité qui nous attache à la terre est un art de vivre.
L’analogie avec le tableau de Pascal est aussi à comprendre en relation avec la beauté du monde. La Gravité de notre monde ce n’est pas seulement un milieu dans lequel on survit, mais cette beauté incroyable, époustouflante, qui rend infiniment précieuse ces minutes habitées par la poésie la plus pure, où l’existence est plus que justifiée : elle est couronnée.


Mais les bijoux perdus de l’antique Palmyre,
Les métaux inconnus, les perles de la mer,
Par votre main montés, ne pourraient pas suffire
À ce beau diadème éblouissant et clair 
Baudelaire

Le temps pèse sur nos existence, comme un couvercle, horizon de notre monde, véritable gravité de nos existences et fleurs desséchées qu’on ne ravive pas. Ce temps là n’a rien à voir avec la mesure du temps. Le temps qui nous échappe n’est pas contenu dans les secondes vides que mesure l’horloge. Pour elle chaque battement d’aiguille ressemble à un autre battement d’aiguille, indifférenciés et monotones, ils tournent en rond, sans but ni nostalgie. Mais pour nous cela est grave.

Ce ne sont pas seulement les « objets » qu’isolent les différentes sciences lorsqu’elles s’en préoccupent mais également leur manière de les appréhender qui isole une science d’une autre. Deux sciences peuvent prendre en vue une même réalité, mais qui ne constituera pas le même objet scientifique. Parmi ces façons d’appréhender le monde, notre ontologie avec toute sa Gravité, pourrait passer pour une simple modalité. D’un point de vue purement intellectuel cela se défend. Mais du point de vue de notre existence, ce n’est pas un simple point de vue parmi d’autres, mais le point de gravité central et indivisible.
Tout ne nous est pas égal et indifférent. Comme flottant dans l’univers et délié de tous principes. Nous sommes attachés à notre sol, à notre terre. Nos principes sont poétiques, ils disent notre façon d’habiter ce monde. Et le son et ses cinq dimensions ne nous dira jamais ce qu’est la voix d’un ami. Parce que le sens qui accompagne chaque manifestation dans l’être est sans mesure. Ce que nous dit une chose ou un être peut être immense. Le vrai infini est là. Et non dans l’espace…
La gravité de l’être est sur terre :
le cœur de la terre est d’or !  Nietzsche

 

 

 

Publié dans Philosophie

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